C'est donc ben cringe ce que t'écoutes!

L'an passé je suis retombée en amour avec la musique humoristique. Je trouve sincèrement qu'une chanson qui est drôle ET plaisante à écouter est un mix parfait. Seulement voilà, lorsque la saison du Spotify Wrapped (où l'hiver comme le disent certains ploucs) est arrivée, mes deux artistes les plus écoutés étaient les Trois Accord et Ninja Sex Party. Cringe!
Pourtant, j'ai écouté ces artistes assez longtemps pour qu'ils deviennent mes artistes préférés de l'année si on se fie aux statistiques. Alors pourquoi ai-je quand même décidé de garder mon topo musical de l'année privé au lieu de le partager au monde entier? Je sais pertinemment que je ne suis pas la seule dans cette situation, alors qu'est-ce qui explique ce mouvement sociétal? Est-ce qu'il y a un remède? Et surtout, est-ce que j'ai le droit d'apprécier Les Trois Accords? Nom de Zeus...

Selon Dr Dean Burnett, neuroscientifique et l'auteur du livre Emotional Ignorance: Lost and found in the science of emotion ;

[...] cringing is essentially a mechanism to deter us from behaving in ways that risk us losing status or gaining the negative judgement of others [...] (le malaise est essentiellement un mécanisme qui sert à nous décourager d'avoir des comportements qui risqueraient de nous faire perdre du statut ou de reçevoir des jugements négatifs des autres)

En gros, si singe manger pomme et non banane = singe seul MAYBE, singe pas manger pomme parce que singe peur. Quel est le rapport avec la musique? Eh bien, supposons pendant un instant que tu écoutes une chanson qui est reconnue comme étant mauvaise. Ton cerveau, par mécanisme de défense, va s'empêcher d'aimer cette chanson par peur d'être rejeté par ton cercle social si tu exprimes des sentiments qui vont à l'encontre de ce que les autres pensent. Une réaction logique en soi, qui fonctionne bien lorsque tu essaies de trouver des points communs à un petit groupe de gens afin de t'y intégrer.

Sauf que dans une sphère médiatique où tout est bâti sur la haine, la création d'échochambres et la séparation d'êtres en catégories menant à la comparaison, il est de plus en plus difficile de ne pas être cringe. Quoi que tu fasses, il va toujours y avoir un zigoto que tu connais pas qui va être en désaccord et doit absolument te le faire savoir. Après avoir passé une bonne journée à lire des critiques d'albums sur Rate Your Music (un peu comme le Letterboxd de la scène musicale mais sans le côté rigolo de sa contrepartie), plein d'albums que j'adore se sont faits mettre l'étiquette de "cringe" pour plein de raisons différentes: trop populaire, trop hors norme, l'artiste essaie trop, l'artiste n'essaie pas assez, l'instrumentale est trop cliché ou trop étrange, les paroles n'ont pas d'âme, ne se prennent pas assez au sérieux ou bien se prennent trop au sérieux, ou tout simplement parce que la personne qui écoute la chanson ne résonne pas avec le message et les valeurs véhiculées par la chanson/l'album/l'artiste.

Malheureusement, ce sentiment que tout ce qui est hors de notre zone de confort est automatiquement gênant et ne devrait pas exister va main dans la main avec l'encouragement par les algorithmes de réseaux sociaux qui priorisent les opinions extrêmes, surtout lorsqu'elles sont négatives et/ou créent de la controverse, juste parce que ça crée plus de clics, et que ça fait parler les utilisateurs.
Le résultat? On a honte d'aimer certains artistes. La joie de partager une chanson qu'on a découvert a été remplacée par la peur d'avoir des goûts qui ne sont pas assez acceptés par notre entourage. Pour plusieurs personnes, choisir la trame sonore d'une situation sociale (choisir la musique d'un chilling pour les non-prétentieux) devient une véritable tâche qui crée un sentiment de panique. Et honnêtement? Je commence à en avoir ras la choucroute d'avoir peur d'être cringe. Donc voici 5 chansons que j'adore, chacune faisant partie d'une catégorie de chansons considérées gênantes par des membres de mon cercle.

1. Country

Trampled by Turtles – Codeine

Mention spéciale : The Dead South – In Hell I'll Be in Good Company
Et ouais, on commence par la catégorie la plus détestée. Souvent, quand les gens disent qu'ils n'aiment pas le country, ils font référence au country pop publicitaire qui passe à la radio. D'ailleurs la plupart des chansons que les gens détestent sont celles qui passent à la radio. Cependant, dans le cas du country, ce dédain des mauvais côtés de la culture fait que plusieurs se bouchent complètement à tout le bon country qui existe dans ce monde. Personnellement, j'aime quand même beaucoup le bluegrass, et j'ai choisi une chanson qui représente ce que j'aime du genre: de la guitare, du banjo, de l'énergie, des hommes avec une voix rough qui chantent des paroles qui sont intéressantes, parce que quand on s'arrête pas à ce qui passe à CKOI, on peut découvrir du stock qui n'est pas juste "beer trucks and white women".

2. Main character

Will Wood – The Main Character

Mention spéciale : Pierre Lapointe - Au bar des suicidés
Ok on va mettre quelque chose au clair. Je suis une theater kid. Choquant je sais, personne s'y attendait. Tout ça pour dire que selon moi, une toune super théâtrale au point que ça en devient presque une parodie, c'est 100% dans mes cordes. En plus, j'adore chanter/faire du lip sync (je le fais souvent inconsciemment), faque une chanson qui me permet de chanter avec tout le mélodrame dont l'artiste de performance en moi rêve? Eum yes please! J'ai choisi cette chanson de Will Wood mais honnêtement n'importe quoi sur The Normal Album ou bien Everything is a Lot vaut la peine d'être écouté si t'aimes les cuivres qui fessent, les voix étranges, les paroles ultra wack et compliquées par moments et le jazz qui a été composé par quelqu'un qui a clairement été intimidé toute sa jeunesse.

3. Cliché

Boywithuke – She Said No

Mention spéciale : Faded Paper Figures – Not the End of the World (Even as We Know It)
You know what? C'est correct d'être cliché. Pas besoin de réinventer la roue à chaque chanson. C'est comme une soupe. Tu peux faire la soupe la plus élaborée que tu veux, la faire chauffer pendant 3 mois dans une casserole faite en pierre volcanique, y mettre des légumes qui ne se cueillent que lors d'un équinoxe et me la servir dans un bol fait en bois de chevreuil, et je risque de trouver ça super bon! Mais tu peux aussi me faire une soupe poulet et nouilles ben straight, la faire chauffer au micro-ondes pis me la servir dans une tasse qui a encore un peu de croûte de la soupe d'avant dessus et je vais me régaler tout autant. Ce que j'essaie de dire, c'est que les clichés existent pour une raison : ça fonctionne pas mal toujours bien. J'ai donc pris une tite chanson de coeur brisé ben cucul, avec un ukulele qui joue des accords classiques pis une voix d'adolescent qui pense avoir découvert c'est quoi aimer quelqu'un pour vrai. Pis caliss, je l'aime cette toune-là no matter how much elle est quétaine et surfaite.

4. Sans substance

Sean Paul – Temperature

Mention spéciale : Mixmania 2 – Chic Chick
Un peu en lien avec le dernier, mais poussé encore plus loin. Des fois, c'est correct d'avoir une chanson qui dit absolument rien d'important. Où de faire une toune juste parce que tu veux avoir un hit qui fait shaker tous les culs de ce monde. Est-ce que c'est artistiquement noble? Évidemment que non. Mais si tu te dis qu'il y a pas une chanson de Pitbull qui te fait t'ambiancer un tout petit peu, tu te mens à toi-même. C'est pas vrai qu'on crée de la musique seulement lorsqu'on a un message a faire passer. Et très honnêtement, je pense qu'on a besoin de musique vide et inintéressante pour plein de moments de la vie. Peux-tu t'imaginer à quel point le monde serait triste si dès que tu rentrais à l'épicerie, Dehors novembre se mettait à jouer? Il y aurait des cadavres partout dans la rangée des surgelés. En tout cas, moi je dis oui au beats groovy et aux paroles dont on se calisse royalement.

5. Voix gossante

Bright Eyes – Poison Oak

Mention spéciale: The Matches – Salty Eyes
Ah, la voix. Maudit que ça peut make or break une chanson, c'est vraiment un des critères les plus importants selon moi. Cependant, je suis de l'opinion que toute voix peut devenir vraiment plaisante après quelques écoutes. Prenons la voix de Conor Oberst (le chanteur de Bright Eyes) comme exemple. La première fois que j'ai écouté l'album, mon dieu que j'ai eu de la misère avec son timbre vocal. Il sonne comme un adolescent en pleine puberté qui fait une crise. Il a tellement de trémolo quand il chante (chose que j'haïs pour mourir) et il chante une note sur deux, l'autre est soit parlée, soit un craquement de voix. Et pourtant, maudit que c'est un bon album. C'est touchant, c'est down-to-earth, et quand tu acceptes les fautes dans sa manière de chanter, ça rajoute tellement à l'expérience. J'ai maintenant fait un 180° complet et j'adore cette petite voix dégueulasse, ça donne un charme à l'oeuvre qui serait pas la même sans.

Et voilà, j'ai exposé le plus profond de ma gêne à qui voudra bien le lire. Honnêtement c'est un peu libérateur, et je réalise en l'écrivant que je suis quand même vraiment fière de mes goûts musicaux. Mais plus que ça, je suis fière d'être capable de m'intéresser à des artistes et des genres qui me cringent au premier abord, parce qu'au final on s'en fout et y'a personne qui peut me dire quoi écouter. Maintenant si ça dérange personne, je vais me retaper une écoute front-to-back de Gros mammouth album turbo. Bye bye bisous là.

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